Comment surmonter l’inconfort ? Dans le groupe d’entrepreneurs que j’accompagne, Sandrine Mathias est une inspiration pour ses pairs. Je pense que plusieurs lui envient sa détermination et sa résilience, tant en affaires que face aux défis plus grands que nature qu’elle se fixe comme ultra-marathonienne. Son histoire nous rappelle qu’être leader, c’est savoir puiser dans ses ressources les plus profondément enfouies, mais avant, tout savoir négocier avec l’inconfort.

Soignante de vocation, Sandrine a évolué dans le réseau de la santé pendant 25 ans. Vingt-cinq années à prendre soin des plus vulnérables, notamment les bébés. « C’est un milieu difficile, la santé », dit-elle. L’infirmière en périnatalité est passionnée, mais le système manque d’humanité. 

Confrontée une fois de trop à la rigidité du réseau et habitée par une soif de liberté, elle décide de se lancer en affaires. Elle fait l’acquisition en 2019 d’une franchise de services de soins de santé. « Moi, ce que je sais faire dans la vie, c’est être infirmière », ajoute-t-elle.  

Ah, ce fameux syndrome de l’imposteur !

Le hic, c’est que Sandrine se sent « zéro légitime » dans le monde de l’entrepreneuriat. « C’est peut-être culturel, puisque je suis originaire de France, où l’apprentissage d’un métier et l’obtention d’un diplôme sont fortement valorisés, et c’est justement ce qui rend légitime ton activité professionnelle. Or, je n’avais pas de diplôme en entrepreneuriat. » Sandrine s’est même inscrite à HEC pour un DESS en entrepreneuriat et gestion de PME. « Je tenais à m’assurer que je faisais les études me permettant d’assumer mon rôle. Mais je n’ai pas pu me rendre à un seul cours, tant la gestion de ma compagnie m’occupait en continu. » Autour d’elle, le succès semble venir plus naturellement à ses pairs : leurs équipes grandissent à vue d’œil, les affaires roulent, la demande explose…

Mais Sandrine s’accroche, avec une philosophie en tête : être un employeur qui prend soin de son monde. « Je voulais offrir ce que moi j’aurais rêvé qu’on m’offre quand j’étais infirmière sur le plancher, traiter mon équipe comme moi j’aurais aimé être traitée. »

De fil en aiguille, l’équipe grandit. Quelques années plus tard, Sandrine dirigera jusqu’à 80 soignants et soignantes. 

« Une grosse claque »

L’aventure entrepreneuriale est remplie d’embûches, on le sait tous. Ça fait partie du deal. Mais « la grosse claque » qui attendait Sandrine, elle ne l’avait pas vue venir, mais pas du tout. Après trois années de croissance, alors que les affaires semblaient aller de mieux en mieux, réveil brutal : la jeune entreprise est en réalité en très mauvaise posture financière, et même au bord du gouffre.  

« J’ai confié les finances aveuglément à un professionnel, et je n’ai jamais vu que les chiffres annoncés ne représentaient pas la réalité financière de notre entreprise. Chaque mois, l’écart entre les entrées et les sorties d’argent se creusait et nous nous dirigions vers notre perte. » Du jour au lendemain, elle a dû prendre la décision de congédier la moitié de son équipe de gestion, dans l’espoir ultime de sauver les meubles.

Devant cet échec, le sentiment d’imposture reprend de l’ampleur. « J’ai ressenti un grand sentiment de honte, dit-elle. De n’avoir pas su voir ce qui se tramait, d’avoir eu la prétention de croire que je pouvais réussir en affaires, de mettre ma compagnie et ma famille dans une situation précaire… Je me voyais perdre ma maison, tout perdre. J’ai vraiment cru que j’avais tout fait couler. »

C’est envahie par ce sentiment de honte et de culpabilité (et pas mal à reculons) que Sandrine se présente à ce qu’il y a d’inscrit à son agenda ce jour-là – parce que la vie a cette façon un peu agaçante de suivre son cours malgré les coups durs : rencontre avec son groupe de pairs. 

« Je suis arrivée là, et je me suis littéralement effondrée, ce que je ne m’étais pas donné le droit de faire jusqu’à ce moment-là, afin d’épargner mes proches, ma partenaire d’affaires, et mes employés », raconte-t-elle, avec le recul. « Ce que ça permet un groupe comme celui-là, c’est de laisser la place à l’Humain dans l’entrepreneur. Et c’est justement cet espace qui permet de reprendre son souffle. »

Se remettre sur les rails

Cette crise, c’est peut-être l’électrochoc dont Sandrine avait besoin au fond, pour finalement prendre conscience qu’elle avait ce qu’il faut pour être une « vraie » entrepreneure. A blessing in disguise, dit-on en anglais. Oui, il y avait du pain sur la planche pour redresser l’entreprise, mais afin de trouver l’énergie de s’y atteler, elle s’est fixé un objectif ambitieux : prendre le départ d’une course en sentier de 160 kilomètres en octobre prochain. Elle a lancé un défi collectif similaire à son entourage, et avec l’aide de sa partenaire, au sein de sa compagnie : courir à relais la même distance. 

Tout ça avec un objectif commun qui tombait sous le sens dans le contexte : amasser des fonds pour la cause de la santé mentale. « C’était une façon de tirer quelque chose de beau de cette épreuve. Et de me rappeler ma capacité psychologique personnelle à surmonter l’inconfort.»

« Mon objectif n’est pas de franchir la ligne d’arrivée de ces 160 kilomètres, même si je vais faire tout mon possible pour que ça soit le cas, mais de respecter mon engagement d’arriver prête sur la ligne de départ. Exactement comme lorsque je dirige ma compagnie : je ne veux pas me fixer des objectifs de résultats, sur lesquels je n’ai finalement pas le plein contrôle, mais plutôt des objectifs de moyens, sur lesquels j’ai du pouvoir, et que je me dois de mettre en œuvre pour atteindre ce que je vise. »
Sandrine Mathias, cheffe d’entreprise et ultra-marathonienne

Dans les trois dernières années, pour se concentrer à 100 % à son entreprise, Sandrine avait délaissé les sentiers et ses chaussures de course. Ce sport et le contact avec la nature, c’était pourtant là qu’elle puisait son équilibre. « Je me suis dit que si je n’en refaisais pas une priorité, je risquais de sombrer dans la dépression », admet-elle. Aujourd’hui, la course et la méditation sont à l’agenda de l’entrepreneure, au même titre que ses autres obligations professionnelles. La méditation, qu’elle pratique à l’extérieur pendant une heure chaque matin, été comme hiver, lui permet de calmer l’anxiété quand elle survient, et surtout, de se recentrer sur l’instant présent. 

Comme leader, c’est un engagement qu’elle prend envers sa propre santé, et par ricochet, celle de son entreprise. Et c’est probablement ce qui lui a permis, avec le travail accompli avec le soutien incontestable de sa partenaire d’affaires, de remettre son entreprise sur les rails. 

Surmonter l’inconfort 

Ce qui est admirable chez Sandrine, c’est sa résilience. « Dans un ultra comme en entrepreneuriat, il y a des moments de profonds inconforts où on se demande ce qu’on fait là. Ce qui fait la différence, c’est la capacité à pouvoir rebondir et à aller puiser dans les ressources qu’on a en soi », décrit-elle. « Tout inconfort finit par passer », promet-elle. 

« Face à l’adversité et aux doutes, Sandrine a su puiser dans la force de son passé pour redéfinir son rôle en tant qu’entrepreneure. La véritable légitimité d’être entrepreneur ne se trouve pas dans un diplôme, mais dans la passion, la persévérance et l’humanité avec laquelle on mène sa mission. »
Sophie Babeux, coach exécutif d’affaires