Il y a quelques mois, j’ai traversé à la nage une rivière où vivent des hippopotames. À deux reprises.
Pour prendre la pleine mesure de cette expérience inusitée, un petit détour zoologique s’impose. Oubliez l’image du gentil hippo des bandes dessinées. Derrière sa bouille d’apparence inoffensive et son allure nonchalante, l’hippopotame est l’un des animaux les plus dangereux d’Afrique. Espèce excessivement territoriale, l’hippopotame défendra bec et ongles le cours d’eau où il s’est établi. Selon une petite recherche rapide, bon an mal an, 500 personnes meurent à chaque année, attaquées lors d’une rencontre avec un hippopotame.
Objectif : garder tous nos morceaux
De passage en Afrique, avec 11 autres voyageurs, j’ai eu la « chance » de traverser un cours d’eau où ce gentil tueur aime patauger. Conscients du danger encouru, nous devions établir en groupe une stratégie pour traverser sécuritairement 12 humains et leurs sacs de randonnée pleins à craquer et essentiels à leur survie. Pour seule embarcation, un kayak.
J’insiste ici : nous devions décider en groupe. Bien vite un constat s’est imposé : absence de hiérarchie et leadership ne vont pas toujours naturellement de pair! Pour plusieurs raisons, il peut être difficile de « prendre le lead » dans un tel contexte. De peur de froisser les autres… Pour ne pas briser la cohésion du groupe… Parce que d’autres voix prennent plus de place… Parce qu’on cherche absolument le consensus…
Mais quand personne ne prend le leadership, aucune décision ne se prend. On tourne en rond.
Identifier les risques
Après un début chaotique, les priorités du groupe se sont mises en place. La première de celles-ci : identifier les risques. Un nageur qui panique, le choc de l’eau glaciale, le courant qui emporte un membre, l’apparition redoutée de deux yeux d’hippopotame à la surface de l’eau… Avant même de glisser un orteil à l’eau, nous devions identifier tous ces dangers.
Une fois les risques connus, il restait à les mitiger. Il a été convenu que le temps passé dans l’habitat naturel du mammifère devait être réduit au minimum. Les bagages ont été chargés sur le kayak. Des groupes ont été formés pour que la traversée du groupe se fasse par étapes. Les bons nageurs se sont jumelés à ceux qui l’étaient moins – les premiers deviendraient les rocs des derniers, au besoin. Avant la traversée du premier groupe, les membres sur les berges auraient des rôles à jouer : les uns agiteraient des branches à la surface de l’eau pour solliciter la curiosité des hippopotames pendant que les autres surveilleraient la présence d’hippopotames. Certains membres du groupe devraient faire plus d’un aller-retour pour ramener le kayak au groupe suivant : les joueurs plus solides dans ce contexte ont été retenus.
Un meilleur leadership
Résultat : avec cette stratégie, 12 voyageurs ont pu traverser la rivière de façon sécuritaire. Nous avons su miser sur les forces du groupe. Nous avons su écouter quand les personnes les plus expérimentées se sont exprimées. Nous avons su, en groupe, reconnaître les compétences de ces leaders et les laisser contribuer activement au plan de match. Nous avons aussi su accompagner ceux qui avaient moins d’expérience.
En affaires ou face à une rivière infestée d’animaux sauvages, les mécanismes du leadership sont les mêmes.
- Déterminer l’objectif visé
- Avoir le courage de diriger
- Identifier les risques
- Prévoir des stratégies pour éliminer ou réduire les risques
- Faire confiance aux membres de l’équipe à qui l’on confie un rôle
- Être à l’écoute des contributeurs selon leur compétence
- Reconnaître qu’une personne aguerrie dans un contexte le sera moins ailleurs, et vice-versa
- Outiller et accompagner les membres moins solides
Le plus surprenant dans cette expérience? Le hasard de notre route nous a amenés à traverser à nouveau ce cours d’eau plus tard dans notre périple. Nous exécutant rapidement et en misant sur l’expérience passée, chacun a assumé son rôle et tout le groupe a traversé en moins de temps qu’il n’en faut pour dire « hippo »!
Crédit photo: Guillaume St-Amand